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La responsabilité des constructeurs est une tradition française ancienne présente dès la parution du Code civil de 1804

La responsabilité des constructeurs est une tradition française ancienne présente dès la parution du Code civil de 1804. Depuis cette date, le régime de la responsabilité n’a cessé d’évoluer dans une logique de sécurisation du consommateur.

La loi du 4 janvier 1978 sur la responsabilité et l’assurance dans le domaine de la construction, dite « loi Spinetta », a souhaité assurer au propriétaire d’un immeuble une protection forte contre les dommages importants, pouvant apparaître après la construction de l’ouvrage pendant 10 ans, par le biais notamment d’une socialisation des risques.

La loi spinetta a instauré un régime nouveau de responsabilité par la refonte de l’article 1792 du code civil, la création des artcles et d’assurance obligatoire. n corollaire de ce système de responsabilité, un mécanisme d’assurance obligatoire dit « à double détente » prévu aux articles L.241-1 et suivants du Code des assurances

Si les critères d’application de la garantie décennale ne posent presque aucune difficulté dans le cadre d’une construction neuve, les contours de son application aux existants est malaisée.

En effet, textuellement la garantie décennale est attachée à l’existence d’un ouvrage de construction. Aussi, ce qui préexiste à l’ouvrage de construction ne devrait textuellement pas relever de l’article 1792 du Code civil, dont la vocation est de garantir les désordres causés à l’ouvrage de construction lui-même.

Rappelons la définition de l’article 1792 du Code civil : « tout constructeur d’un ouvrage responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant des vices du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à destination. »

Aux termes de cette définition, la notion d’existant est manifestement ignorée du législateur. Seule la construction d’un ouvrage immobilier constitue la condition préalable pour mettre en œuvre la garantie décennale.

Ce vide juridique a été comblé par diverse jurisprudence de la Cour de cassation qui n’ont cessé d’évoluer sur le sujet.

Par un arrêt Chirinian (cass. 1èr civile, 29 février 2000, numéro 97–1943), la Cour de cassation a étendu la garantie de l’assureur RC décennale aux existants qui ne constituent pas les ouvrages à la réalisation desquels l’entrepreneur a contribué, alors que la garantie facultative relative aux dommages causés aux existants du fait de l’exécution des travaux objet du marché, n’avait pas été souscrite.

La cour avait énoncé que dès lors que la technique des travaux de bâtiment mise en œuvre par l’entrepreneur a provoqué des dommages de nature décennale dont les conséquences ont affecté aussi bien la partie nouvelle de la construction que la partie ancienne, c’est à bon droit que l’arrêt attaqué a retenu que le contrat d’assurance de responsabilité obligatoire mettait à la charge de l’assureur l’obligation de garantir le paiement de la totalité des travaux de réparation nécessaires à la remise en état de l’ouvrage en son entier. »

En l’espèce, les travaux de bâtiment consistaient à l’agrandissement d’un immeuble existant avec installation d’une cheminée suivant une technique d’insert, et les malfaçons affectant cet insert ont provoqué un incendie qui a détruit la totalité de l’immeuble et de son mobilier.

Cet arrêt venait conforter une précédente décision rendue par la 3e chambre civile le 30 mars 1994 (numéro 92–11996)  énonçant : dès lors que l’on ne pouvait dissocier les existants des travaux neufs qui étaient devenus indivisibles par leur incorporation à l’immeuble, ni affirmer que la cause des désordres présidés seulement dans les parties anciennes, la mauvaise tenue des nouveaux travaux provenant d’une erreur de diagnostic de support, et donc d’une rénovation contraire aux règles de l’art, la garantie décennale est applicable à l’ensemble des désordres de structure des planchers, et la garantie de l’assureur du vendeur rénovateur doit remplir son office.

En réaction à cette décision, les professionnels de l’assurance ont obtenu la création d’un article L 243 – 1 – 1 II du code des assurances, issu de l’ordonnance numéro 2005 – 658 du 8 juin 2005 définissant le champ d’application de la garantie obligatoire RC décennale : « ces obligations d’assurance ne sont pas applicables aux ouvrage existantes avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles. »

 

La situation devenait ainsi clarifiée, mais pour autant, subsistait encore la problématique de la réalisation sur existants d’éléments d’équipement dissociable ou non.

 

L’amorce de l’application de la garantie décennale aux existants s’est d’abord faite par la qualification d’ouvrage à certains éléments, comme par exemple les travaux consistant à appliquer un enduit de façade comportant une fonction d’étanchéité. (cass.  3ème pourvoi 88 – 19 642 ; civile 3e, 5 janvier 1994, pourvoi numéro 92 – 14071, par opposition à un ravalement niant une fonction esthétique (3e civil 19 octobre 2011, pourvoi numéro 10 – 21323. 10 – 24,23, 3e, 3 décembre 2002, numéro 01 – 13. 716 ; 3e, 29 janvier 1997, numéro 94 – 21929.)

 

La jurisprudence s’était donc établie jusqu’alors au conditionnement de la mise en œuvre de la garantie décennale à l’existence de désordres affectant un ouvrage ou un élément d’équipement adjoint à un ouvrage existante dès lors que l’installation pouvait être assimilé à des travaux de construction d’un ouvrage de par sa conception, son ampleur et l’ampleur de ces éléments à la construction immobilière. (Cassation 3e civil, 23 février 2017, numéro 15 – 26 505).

 

À défaut, les désordres affectant un élément d’équipement, simplement adjoint  à un ouvrage existant, relevaient de la responsabilité contractuelle de droit commun de l’entrepreneur, non couvertes au titre de la garantie RCD obligatoire, et n’avaient donc pas vocation à voir s’appliquer  la garantie de l’assureur de l’entrepreneur en cause, sauf à justifier d’une incorporation des travaux neufs rendant le tout indivisible.

 

Cependant, c’était sans compter un nouvel Arrêt de la 3e chambre civile de la Cour de cassation du 15 juin 2017, publié au bulletin (n°16-19.640), remettant totalement en cause les principes régulièrement rappelés par la jurisprudence, créant ainsi une véritable révolution dans le monde de la construction.

 

Cet arrêt porte sur la fourniture et pose d’une pompe à chaleur air-eau, pour laquelle la Cour de cassation a censuré la cour d’appel de Douai en retenant : « qu’en statuant ainsi, alors que les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origines ou installés sur existants, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination».

 

La notion d’ouvrage est désormais éludée, la condition selon laquelle l’ouvrage est rendu impropre à sa destination dans son ensemble devient suffisante à elle seule pour permettre la mobilisation de la garantie décennale.

 

Cette solution jurisprudentielle n’a cessé d’être réaffirmée (pour un revêtement de sol : 3e ch. civile, 29 juin 2017 numéro 12 juin 2017, numéro 16 – 16. 637 ; pour un insert : 3e ch. civile, 14 sept 2017, numéro 16 – 17.323)

 

Si les assureurs se posaient encore la question de savoir si cette extension jurisprudentielle de la responsabilité édictée par l’article 1792 du code civil avait nécessairement pour corolaire une prise en charge de dommages au titre de l’assurance obligatoire. L’assureur pouvait-il encore se retrancher derrière l’article L243-1-1 II du code des assurances, créé en réaction à l’arrêt CHINIAN.

 

L’arrêt du 26 octobre 2017, civ cass n°16-18.120, a rapidement mis fin au début de polémique, la réponse est négative, retenant que les dispositions de l’article L243-1-1 II du code des assurances ne sont pas applicables à un élément d’équipement installé sur existant. L’assureur doit donc sa garantie.

 

La Cour de cassation a pris soin de publier l’ensemble de ces arrêts au bulletin leur conférant ainsi la plus haute valeur dans son système de hiérarchisation.

 

Le message est ainsi entre les mains du législateur, car nous voici désormais bien  loin de la version textuelle de l’article 1792 du Code civil et 1792 – 2 du Code civil.

 

Les contours de la responsabilité décennale se fixant désormais au regard des dommages causés à l’existant par l’équipement défectueux installé, dont le siège n’est ainsi plus l’ouvrage mais un « quasi ouvrage » comme le dénomme la doctrine.

 

 

 

Ce trouve également bouleversé la détermination de la qualité de constructeur au sens de l’article 1792 du Code civil, puisque désormais tout professionnel installant un élément d’équipement dont les désordres vont rendre l’ouvrage existant impropres à sa destination sont concernés.

 

La conséquence pour ces professionnels est d’être particulièrement vigilant sur leur obligation d’assurance, car jusqu’alors une assurance RC décennale n’était souvent  pas souscrite, pour la fourniture et l’installation d’un élément d’équipement sur un existant.

 

Pour rappel, la loi numéro 2017 – 242 du 27 février 2017 a porté le délai de prescription du délit  de défaut de souscription d’une assurance RC décennale, prévue à l’article L. 241 – 1 du code des assurances, de 3 à 6 ans.

 

La jurisprudence est constante sur le fait que le défaut de souscription de l’assurance RC décennale obligatoire au titre des dommages matériels constitue pour le chef d’entreprise une faute détachable qui engage sa responsabilité personnelle sur le fondement des dispositions des articles 1382, ancien du Code civil, désormais 1240 du Code civil, et l’article L 223 – 22 du code de commerce (cassation commerciale 28 septembre 2010, numéro 09 – 66255).

Sur le plan civil, l’action peut être engagée dans les 3 ans  du fait dommageable sur le fondement de l’article L 223 – 22 du code de commerce et, si la faute a été dissimulée, dans les 3 ans de sa révélation (L223-23 du code de commerce).

Il a d’ores et déjà été jugé que l’absence de souscription d’assurance obligatoire dès l’ouverture du chantier constitue en soit un préjudice certain pour le maître d’ouvrage, même en l’absence de tout dommages à l’ouvrage, du fait de la privation d’une garantie de prise en charge en cas de survenance d’un désordres avant l’expiration du délai d’épreuve de la garantie décennale.